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samedi 14 novembre 2009

Mariage noir...

Une fois n’est pas coutume, c’est en cédant aux doux chants des sirènes mercantiles que je m’en suis allé cueillir l’objet de cette chronique chez mon libraire préféré. C’est en effet au hasard d’une publicité entendue sur les ondes d’une grande radio nationale que l’envie me prit de me procurer ce petit opuscule d’un auteur qui m’était alors inconnu… et qui a cessé de l’être depuis puisqu’à la suite de cette découverte, je n’ai plus laissé passer un opus dudit. C’est vous dire si j’ai apprécié l’expérience.

Avec « Robe de Marié », Pierre Lemaitre nous délivre un petit chez d’œuvre de roman noir avec une intrigue tirée au cordeau, intense et jouissivement schizophrénique. Du grand art. Lemaitre nous prends par la main dès le début du roman et nous balade au gré de ses coups de théâtres dans une sorte de labyrinthe admirablement construit et machiavélique. D’ordinaire, je me méfie de ces auteurs qui truffent leur romans de retournements de situations souvent peu crédibles, parfois même totalement farfelus, sorte d’arôme de synthèse pour lecteurs avides de sensations faciles. Pas de ça ici, tout est maitrisé de bout en bout et on se fait surprendre presque à chaque détour de chapitres jusqu’à la fin du roman.

Le style est plutôt direct et efficace, sans fioriture inutile (mais non ce n’est pas un pléonasme), il sert surtout l’histoire à merveille en réussissant notamment à nous peindre avec maestria deux personnages complexes auxquels on parvient sans effort à s’identifier tour à tour. La construction de l’histoire est remarquable et participe au suspens et à une certaine addiction qui nous empêche de lâcher l’affaire une fois que l’on a mis le doigt dans l’ingénieux engrenage que nous propose Pierre Lemaitre.

Un coup de (Le)maitre donc pour ce second roman, qui fut pour moi une introduction à l’œuvre du bien nommé auteur qui n’allait pas en rester là en matière de petits bijoux… Mais ceci est une autre histoire et sera matière à d’autres chroniques.


Pierre Lemaitre  - « Robe de Marié » - Calmann-Lévy 2009

mercredi 22 juillet 2009

Quoi de Neuf Docteur ?

Dans le processus électif présidant au choix d’un livre au pied des étals des libraires, le nom de l’auteur est parfois prépondérant. Il vous parle, il vous attire, il vous incite à dépenser quelques euros, ou toute autre monnaie ayant cour par chez vous. Souvent, c’est pour avoir lu, et on espère apprécié, une de ses œuvres précédentes que les grosses capitales en couverture agissent sur vous comme un aimant, parfois c’est un ami qui vous veut du bien qui vous a parlé de l’auteur en question, bref, c’est l’association de son nom à son œuvre passée ou présente qui vous motive. Mais il arrive aussi que le nom de l’auteur vous soit familier pour des raisons qui n’ont rien de littéraire. Parce qu’il s’agit d’un acteur célèbre, d’un journaliste encore plus célèbre, du fils d’un chanteur tout aussi célèbre… Bref, parce qu’il est célèbre quoi… Cela serait dans doute la plus mauvaise raison pour acheter le livre en question, mais à bien y penser, ce n’en n’est pas une meilleure pour ne pas le faire. « Tout est sous contrôle » de Hugh Laurie fait partie de cette catégorie.

Alors d’abord je tiens à préciser que je suis des 7 français et demi qui, bien qu’aillant la télévision, n’ont jamais vu le moindre épisode du supposé cultissime Dr House… Cependant comme je ne vis pas sur une ile déserte, j’ai plus ou moins entendu parler de la série et de son comédien principal… D’où un intérêt intrigué à la vue de son premier roman sur les rayons… Et d’où l’achat qui s’en suivi. Après avoir parcouru la 4ème de couverture quand même histoire de voir à quel objet j’avais à faire.

Ayant refermé le roman il y a quelques jours, je l’ai trouvé plutôt agréable et plaisant à lire. En bémol à mon enthousiasme, je mettrais avant tout le coté un peu fouillis de l’intrigue, ou plutôt un certain manque de continuité ou de fluidité entre les différents moments clés. Le sujet principal (Terrorisme, Complot, vilains marchands d’arme…) est assez convenu et parait un peu facile à la nuance près que le roman fut publier pour la première fois en 1996 et donc avant un tristement célèbre 11 Septembre et les événements qui s’en suivirent… De plus, on peut se demander si les grosses ficelles du roman d’espionnage que l’auteur utilise ne sont pas inhérentes à l’approche parodique du genre.

Ceci dit, la qualité de l’œuvre tient avant tout dans l’humour cynique et acide de la plume de Laurie, effet renforcé par la narration à la première personne qui nous fait vivre les (més)aventures du héro à travers son flegme tout britannique et l’extraordinaire capacité d’autodérision dont il sait faire preuve. L’action est par ailleurs rondement menée avec les bons rebondissements aux bons moments et quelques scènes toutes prêtes à être portées à l’écran pour un film à grand spectacle. 


Le roman se lit donc facilement en procurant un bon moment de détente, quelques rires parfois, des sourires souvent… Offrant ainsi la petite touche de légèreté subtile que l’on peut parfois attendre d’un livre. Alors si d’aventure Hugh Laurie venait à poursuivre son œuvre scripturale, j’achèterais sans doute son deuxième Opus en me référant cette fois à la précédente production littéraire de l’auteur plutôt qu’à sa présence au générique d’une série télévisée fut-elle célèbre.

Hugh Laurie - Tout est sous contrôle - Sonatine 2009

vendredi 12 juin 2009

Dans la peau de Thomas Bishop.

A la lecture de la 4ème de couverture de « Au delà du mal » de Shane Stevens, voir à la simple vue du titre on comprend que l’on se trouve en présence d’une Nième histoire de tueur en série…et puis une date retient l’attention du lecteur attentif : 1979, date de la première parution du roman… Ce qui fait de lui, en quelque sorte, un précurseur du genre, avant « Le Silence des Agneaux » évidemment, avant même « Red Dragon », avant la vogue pour ce type d’ouvrages…Une bonne raison de jeter un œil curieux sur l’œuvre en question.

L’auteur nous conte donc les pérégrinations sanglantes de Thomas Bishop, tueur psychopathe échappé de l’asile où il était enfermé pour avoir assassiné sa mère à l’âge de 10 ans. Une des premières forces du livre est d’ailleurs bien dans la richesse du personnage du protagoniste central de l’œuvre, dont toute la première partie s’attache à nous décrire l’enfance traumatisante et les méandres de son cerveau corrompu. L’auteur nous met littéralement dans la tête de son (anti)héro, dans ses fantasmes les plus morbides comme dans ses plans les plus machiavéliques… Le lecteur est donc pris entre le sentiment normal de répulsion face à un tel monstre, une certaine compassion pour l’enfant martyr qu’il fut, voir une « admiration » pour sa capacité à concevoir les moyens de poursuivre son œuvre destructrice tout en échappant à ses poursuivants. A n’en point douter, Thomas Bishop, est un des personnages de criminels les plus fouillés qu’il m’ait été donné de rencontrer dans la littérature du genre.

Les personnages secondaires ne sont pas en reste, entre un journaliste ambigu, prêt à tout pour parvenir à ses fins, un homme politique ambitieux et cynique, des médecins sur de leur fait scientifique, des policiers dépassés par l’ingéniosité du tueur mais persévérants et consciencieux… Shane Stevens nous offre une galerie de portraits riches et servant bien l’intrigue… Et puis il y a les Femmes…et le traitement un peu particulier que l’auteur leur réserve.

En premier lieu, LA femme, la mère de Bishop, victime d’un viol raconté dans les premières pages et qu’on nous montre ensuite comme menteuse, manipulatrice et finalement bourreau de l’enfant peut-être issu de ce viol.  La description des pensées et agissements de cette femme interdisent presque toute forme de compassion…et ce dès le viol où il nous est presque suggéré qu’elle aurait pu y prendre un certain plaisir… La suite étant encore pire lorsqu’elle assouvira sa soi-disant vengeance en martyrisant son fils jusqu’à ce que ce dernier la tue… Faisant d’elle, la source même du Mal… D’ailleurs, à chacun des crimes commis par Bishop, l’ombre de sa mère restera présente comme si elle était l’instigatrice des horreurs perpétrées par son fils…
Au-delà du personnage de la mère, il y a celui des autres femmes, les victimes du tueur, où celles qui croisent la route des différents personnages masculins…Car tel est bien l’autre point particulier du roman, mise à part la mère de Thomas Bishop, les autres protagonistes féminins ne semblent là que pour assouvir les plaisirs des hommes, jusqu’à ceux pervers et mortels du tueur. Même les victimes paraissent avoir leur part de responsabilité dans leur propre mort puisque toutes suivent leur bourreau de leur plein gré. Certaines nous sont même présentées comme des chasseresses en quête d’un homme pour combler leur solitude ou leurs désirs. Prédatrices devenues proies, leur propre attitude semble coller aux images déformées de la femme qui hantent l’esprit torturé de Bishop qui les perçoit comme des démons œuvrant à la perte de l’Homme. Ce traitement des personnages féminin par l’auteur m’a vraiment interpellé et je ne saurais dire s’il procède d’une habile construction stylistique visant à conduire le lecteur au plus profond des pensées du tueur, en présentant les femmes telles qu’il semble se les représenter ; ou si les représentations féminines en question sont le reflet des véritables opinions de Stevens sur la gens femina… A vrai dire cette interrogation fut presque source d’un plus grand malaise pour moi que la simple description clinique de certains des sévices infligés par le tueur à ses victimes.

Ceci mis à part, l’intrigue reste bien construite, et fortement intégrée dans le contexte de l’époque… Avec en toile de fond le débat sur la peine de mort et le Watergate (publié en 1979 le roman se déroule en 1973) les deux ayant une importance capitale dans le déroulement de l’histoire. L’écriture, simple, presque journalistique peut donner à penser que nous sommes en train de lire un article de fond sur les crimes et la traque d’un meurtrier bien réel. L’ensemble renforçant le coté choc du roman.


Pour conclure, « Au-delà du mal » est une œuvre prenante, bien construite et bien écrite. Une œuvre fondatrice d’un genre usé jusqu’à la corde depuis. L’œuvre d’un auteur mystérieux qui disparu soudainement de la scène littéraire après avoir publié cinq romans et dont on ne peut savoir quelle part de ses propres ombres et démons il investit dans le roman. C’est sans doute aussi ce qui fait la force de l’œuvre…

Shane Stevens - Au delà du mal - Sonatine 2009

mardi 19 mai 2009

Le Sale Air de la Peur

« Le principe de Précaution » de Matthieu Jung est définitivement un ouvrage à consommer sans modération. Il n’en est pas moins dangereux, parce que la lecture de ce livre est susceptible de provoquer une addiction irrésistible.

Le roman, écrit à la première personne, nous compte, sur une période d’environ un an, le quotidien de Pascal, un Mr Toutlemonde de la classe moyenne supérieure. Le récit est éminemment inscrit dans son époque et dans l’actualité, ce qui ancre l’histoire dans la réalité historique de la fin 2004, début 2005, avec les références aux Raz-de-marée en Thaïlande ou aux manifestations estudiantines de Mars 05. Cet ancrage dans l’actualité est aussi présent à un niveau plus micro-sociétale, à travers le compte rendu de certains fait-divers beaucoup plus confidentiels. Petits faits souvent insignifiants en apparence mais qui véhiculent tous une notion sous-jacente de dangers aussi mortels qu’imprévisibles… Car là est bien le principe du livre que d’évoquer la présence quotidienne, endémique, mais surtout inévitable de menaces létales diverses et variées qui tourneront bientôt à une certaine obsession pour le héro.

Le talent de l’auteur réside en grande partie dans sa faculté à nous faire nous identifier à son héro. Ainsi, lorsque celui-ci se trouve confronté à une forme de harcèlement de la part d’un de ses collègues, l’auteur parvient sans mal à nous faire éprouver quelques détestations pour le butor en question. De même, à travers les yeux du héro, le livre aborde certaines questions sociétale (banlieues, échec de l’intégration, éducation…) mais en privilégiant l’approche individualiste plutôt que la vue d’ensemble. Ces mêmes problématiques prenant du même coup un aspect plus réel, plus inquiétant. Nous suivons la vie quotidienne de cet homme mais c’est surtout sa perception de plus en plus déformée de la réalité qui nous est montrée, un quotidien vu comme de plus en plus agressif, oppressant. Un quotidien qui devient enfer, et comme nous le disais Sartre, d’ailleurs cité dans le livre sur ce topique même : « L’enfer c’est les autres »…

Car nul doute que l’enfer dans lequel Pascal, à l’instar du héro de Dante, s’enfonce inexorablement est bien celui constitué par des interactions interpersonnelles vécues de plus en plus comme de véritables agressions. Comme celui de Dante, l’enfer de Pascal comporte plusieurs cercles concentriques, le monde en général, la France, la Région Parisienne, son lieu de travail, sa famille…et plus on progresse à l’intérieur des cercles plus la menace semble importante. Au fur et a mesure que l’intrigue se noue, le quotidien perd de sa tangibilité, les faits perdent de leur substance, nous parvenant à travers le prisme déformant d’une perception de plus en plus émotionnelle du héro…vers le dénouement tragique attendu.

Par certains aspects, le livre n’est pas sans rappeler l’excellent « American Psycho » de Bret Easton Ellis. Mais si la folie de Patrick Bateman procède d’un complexe de supériorité exacerbé qui en fait un prédateur, celle de Pascal est, à l’inverse, issue d’une propension tout aussi imprescriptible à se placer en victime désignée. Victime qui réagira aux agressions réelles ou supposées par un reflexe d’autoconservation dévastateur.


« Le Principe de Précaution » propose donc une folie plus ordinaire que celle de Bateman, tout comme la vie de Pascal est plus ordinaire…Une folie qui en est presque plus dangereuse et inquiétante car potentiellement plus présente dans notre quotidien même. Une œuvre que d’aucuns trouveront sans doute un peu dérangeante dans certains thèmes développés et surtout dans son final brutal, mais une œuvre admirablement maitrisée par l’auteur, et un vrai plaisir de lecture.

Matthieu Jung - Principe de Précaution - Stock 2009