A la lecture de
la 4ème de couverture de « Au delà du mal
» de Shane Stevens, voir à la simple
vue du titre on comprend que l’on se trouve en présence d’une Nième histoire de
tueur en série…et puis une date retient l’attention du lecteur attentif : 1979,
date de la première parution du roman… Ce qui fait de lui, en quelque sorte, un
précurseur du genre, avant « Le Silence
des Agneaux » évidemment, avant même « Red
Dragon », avant la vogue pour ce type d’ouvrages…Une bonne raison de jeter
un œil curieux sur l’œuvre en question.
L’auteur nous
conte donc les pérégrinations sanglantes de Thomas
Bishop, tueur psychopathe échappé de l’asile où il était enfermé pour avoir
assassiné sa mère à l’âge de 10 ans. Une des premières forces du livre est
d’ailleurs bien dans la richesse du personnage du protagoniste central de l’œuvre,
dont toute la première partie s’attache à nous décrire l’enfance traumatisante
et les méandres de son cerveau corrompu. L’auteur nous met littéralement dans
la tête de son (anti)héro, dans ses fantasmes les plus morbides comme dans ses
plans les plus machiavéliques… Le lecteur est donc pris entre le sentiment
normal de répulsion face à un tel monstre, une certaine compassion pour
l’enfant martyr qu’il fut, voir une « admiration » pour sa capacité à concevoir
les moyens de poursuivre son œuvre destructrice tout en échappant à ses
poursuivants. A n’en point douter, Thomas
Bishop, est un des personnages de criminels les plus fouillés qu’il m’ait
été donné de rencontrer dans la littérature du genre.
Les personnages
secondaires ne sont pas en reste, entre un journaliste ambigu, prêt à tout pour
parvenir à ses fins, un homme politique ambitieux et cynique, des médecins sur de
leur fait scientifique, des policiers dépassés par l’ingéniosité du tueur mais
persévérants et consciencieux… Shane
Stevens nous offre une galerie de portraits riches et servant bien
l’intrigue… Et puis il y a les Femmes…et le traitement un peu particulier que
l’auteur leur réserve.
En premier
lieu, LA femme, la mère de Bishop,
victime d’un viol raconté dans les premières pages et qu’on nous montre ensuite
comme menteuse, manipulatrice et finalement bourreau de l’enfant peut-être issu
de ce viol. La description des pensées
et agissements de cette femme interdisent presque toute forme de compassion…et
ce dès le viol où il nous est presque suggéré qu’elle aurait pu y prendre un
certain plaisir… La suite étant encore pire lorsqu’elle assouvira sa soi-disant
vengeance en martyrisant son fils jusqu’à ce que ce dernier la tue… Faisant
d’elle, la source même du Mal… D’ailleurs, à chacun des crimes commis par
Bishop, l’ombre de sa mère restera présente comme si elle était l’instigatrice
des horreurs perpétrées par son fils…
Au-delà du
personnage de la mère, il y a celui des autres femmes, les victimes du tueur,
où celles qui croisent la route des différents personnages masculins…Car tel
est bien l’autre point particulier du roman, mise à part la mère de Thomas Bishop, les autres protagonistes
féminins ne semblent là que pour assouvir les plaisirs des hommes, jusqu’à ceux
pervers et mortels du tueur. Même les victimes paraissent avoir leur part de
responsabilité dans leur propre mort puisque toutes suivent leur bourreau de
leur plein gré. Certaines nous sont même présentées comme des chasseresses en
quête d’un homme pour combler leur solitude ou leurs désirs. Prédatrices
devenues proies, leur propre attitude semble coller aux images déformées de la
femme qui hantent l’esprit torturé de Bishop
qui les perçoit comme des démons œuvrant à la perte de l’Homme. Ce traitement
des personnages féminin par l’auteur m’a vraiment interpellé et je ne saurais
dire s’il procède d’une habile construction stylistique visant à conduire le
lecteur au plus profond des pensées du tueur, en présentant les femmes telles
qu’il semble se les représenter ; ou si les représentations féminines en
question sont le reflet des véritables opinions de Stevens sur la gens femina… A vrai dire cette interrogation fut
presque source d’un plus grand malaise pour moi que la simple description
clinique de certains des sévices infligés par le tueur à ses victimes.
Ceci mis à
part, l’intrigue reste bien construite, et fortement intégrée dans le contexte
de l’époque… Avec en toile de fond le débat sur la peine de mort et le
Watergate (publié en 1979 le roman se déroule en 1973) les deux ayant une
importance capitale dans le déroulement de l’histoire. L’écriture, simple,
presque journalistique peut donner à penser que nous sommes en train de lire un
article de fond sur les crimes et la traque d’un meurtrier bien réel.
L’ensemble renforçant le coté choc du roman.
Pour conclure,
« Au-delà du mal » est une œuvre prenante, bien construite et bien écrite. Une
œuvre fondatrice d’un genre usé jusqu’à la corde depuis. L’œuvre d’un auteur
mystérieux qui disparu soudainement de la scène littéraire après avoir publié cinq romans et dont on ne peut
savoir quelle part de ses propres ombres et démons il investit dans le roman.
C’est sans doute aussi ce qui fait la force de l’œuvre…
Shane Stevens - Au delà du mal - Sonatine 2009