Pages

mercredi 21 octobre 2015

Ceux qui m'aiment prendront ce train...

On peut mourir sans avoir vu Naples. On peut tout aussi bien calencher sans être allé à Venise… On peut même mourir en y allant… Surtout ceux qui décident, pour une raison qui m’échappe d’ailleurs, d’y aller en train… En train couchette surtout. Il y a encore tout un tas de trucs et de machins qu’on peut ne pas avoir vus ou faits avant de s’en aller pour le grand rien… Y compris ne pas avoir lu un bouquin de Tonino Benacquista sauf que dans ce cas là, on a encore plus raté sa vie qu’un quinquagénaire sans Rolex…

« La Maldonne des Sleepings » est le deuxième roman de Benacquista et le premier que j’ai eu le bonheur de lire… Lecture à fond de train tellement l’histoire est prenante, on fonce sans arrêt intempestif d’un chapitre à l’autre jusqu’à la fin, train direct pour le plaisir… Voyage en toute première classe.

L’histoire d’abord, quasi-huis-clos original dans l’univers un peu étrange des trains couchettes… C’est  beau un train la nuit sous la plume d’un auteur de talent. Une plume qui nous raconte ce monde particulier avec une intensité telle que l’on croirait presque entendre le ta-tac-ta-toum des roues d’acier sur les jointures des rails. Une plume qui s’évade aussi pour nous parler de Venise, de Florence, de Paris aussi un peu et qui nous promène ainsi des petits tracas du microcosme ferroviaire aux beaucoup plus graves problèmes du vaste monde sur fond de Complot, de Sida et des combines des grands labo pharmaceutiques… Géniale mise en abime dans laquelle le héro erre, subissant d’abord les événements avant d’essayer de reprendre le contrôle.

Le héro, justement et tous les personnages qui gravitent autours… Des personnages comme je les aime, profonds, épais, plein de doutes et de vicissitudes, multiples et complexes comme… comme les hommes. Vrais quoi… A commencer par ce brave Antoine, qu’on pourrait presque considérer comme un crétin égocentrique fini si Tonino Benacquista ne parvenait pas à nous le faire aimer. Et c’est là le génie de l’auteur, faire de cet homme ordinaire et apparemment sans intérêt un héro auquel on s’attache, que l’on suit dans ses pérégrinations et que l’on se surprend même à vouloir aider… Et tous les autres protagonistes sont à l’avenant, les couchettistes, les contrôleurs, les douaniers, les barbouzes et ceux qu’ils traquent, l’homme d’affaire véreux qui les emploie… Tous sont dépeints avec maestria et servent l’histoire et le propos de l’auteur dans une construction narrative puissante.

Parce qu’il y a l’écriture aussi, l’écriture surtout. Le style extra-ordinaire, au sens premier du terme, de Tonino Benacquista. Une syntaxe preste, une langue enlevée et des phrases ciselées, sans fioritures, du grand art… Et puis l’humour, le cynisme diront certains, cet air de ne pas y toucher mais qui dit beaucoup, qui dit tellement et qui nous prend et nous lie à l’histoire… Un humour qui soutient le récit, rails sur lequel celui-ci glisse avec aisance et nous emporte dans ce voyage au bout de la nuit…

« La Maldonne des Sleepings » fut donc le premier wagon de l’œuvre Benacquistienne qu’il me fut donné de prendre. Il y en a eu d’autres depuis (j’y reviendrai dans d’autres chroniques) tous aussi plaisants. Reste que celui-ci a ce parfum capiteux et délicieux des premières fois… Celles que l’on n’oubliera jamais… Celles qui font qu’on peut mourir… le plus tard possible peut-être mais certain de ne pas être passé à côté de l’essentiel surement.


Tonino Benacquista  - « La Maldonne des Sleepings » - Gallimard 1989

mardi 20 octobre 2015

Les Aléas du Direct.

La trame de ce deuxième roman de Sebastian Fitzek, m’est tout à fait sympathique. Imaginez qu’un forcené, animé des meilleurs intentions au demeurant, prenne le contrôle des studios d’une radio FM en vogue et se mette à diffuser enfin de la musique digne de ce nom plutôt que les daubes habituelles… On pourrait presque lui pardonner sa bombe, ses armes et ses menaces… D’autant plus que sa cause semble belle… et n’a rien à voir avec des questions de goûts musicaux.

L’histoire est en effet un peu plus compliquée que cela, avec son lot de rebondissements et de (presque) faux semblants, et juste ce qu’il faut de conspiration d’état pour nous tenir en haleine… un peu. Un peu seulement parce que l’on voit assez vite venir le coup de théâtre final qui pour le coup n’en est plus tout à fait un. Et ce malgré les artifices utilisés par l’auteur pour essayer de nous égarer. Fitzek se piège lui même d’ailleurs en optant pour une structure littéraire en « Point of View » qui n’est pas sans emmener quelques invraisemblances.

L’Histoire en elle même n’est pas mauvaise en soi et le rythme du récit est plutôt bon, alerte, presque cinématographique… Je me suis d’ailleurs assez rapidement surpris à penser que « Ne les crois pas » avait plus la couleur d’un scenario de bon polar télévisé que d’un roman. La faute à des personnages qui auraient mérité un peu plus d’épaisseur ce qui est vraiment dommage parce qu’il y avait matière. Les deux principaux protagonistes étant psychologues de profession et tourmentés l’un et l’autre par leurs démons respectifs, il y avait la place à un portrait psychologique plus poussé.
L’intrigue reste aussi assez simpliste et ne paraît parfois n’être que le prétexte à une accumulation de scènes d’actions. Elle reste aussi à la surface de choses et nous laisse un peu sur notre faim quant à la fameuse machination.

Sans être vraiment mauvais, « Ne les crois pas », est loin d’être du niveau de « Thérapie » ou du « Voleur de Regard » que j’ai pris beaucoup plus de plaisir à lire. Il reste un petit roman assez efficace pour tuer le temps par une pluvieuse journée d’automne.


Sebastian Fitzek - « Ne les crois pas » - Le Livre de Poche 2001

lundi 19 octobre 2015

Petite Intrigue et Grosses Ficelles...

Le fameux Bouche à Oreilles, l’auteur dont on parle, le livre qu’il faut avoir lu, blablabla de quatrième de couv’… La seule bouche qui puisse avoir voix au chapitre en la matière est celle de  l’ami aux goûts très sûr… Tout le reste n’est que… littérature ?
Bref, cela faisait déjà quelques mois que j’entendais parler de Robert Pobi et de son premier roman supposé sensationnel, « le meilleur thriller depuis « Les Visages » » et autres louches dithyrambes. J’avais jusqu’ici résisté au chant des sirènes. Mais là, alors que son nouveau roman, « Les Innocents » vient de paraître avec force mises en avant médiatiques, je me suis dit qu’il conviendrait peut-être de jeter un œil sur le « phénomène »… en commençant par ce fameux premier roman : « L’Invisible ».

Autant l’écrire tout de suite, « L’invisible » n’est pas un mauvais roman, Pobi parvient à rendre, non sans recourir à quelques artifices météorologiques un peu faciles, une atmosphère angoissante convenant bien au genre. Le rythme est lui aussi plutôt correct et parvient à nous tenir suffisamment en haleine pour que l’on tourne quelques pages de plus avant d’éteindre la lumière… On entre vite dans le roman, mais on en sort tout aussi vite aussi. Il n’est pas de ces ouvrages qui vous poursuivent après que vous l’avez refermé. Et c’est là que le bât blesse.

Deux raisons principales à cela. Les personnages tout d’abord que l’on a l’impression d’avoir croisés à moult reprises. Et pas parce que l’auteur parvient à nous les rendre familiers, bien au contraire. Les personnages, principaux comme secondaires, sont comme des caricatures outrancières, mauvais clones dénaturés, d’autres qu’on a pu rencontrer dans d’autres romans ou quelques séries télévisées. On les retrouve ici mais vidés de toute substance, plats, éthérés, spectres auxquels on ne parvient pas à s’attacher ce qui est déjà gênant, mais auxquels on ne parvient même pas à s’intéresser ce qui est un tantinet rédhibitoire quand même.

Et puis il y a l’intrigue, ou plutôt son absence, tant là aussi tout est finalement assez convenu, presque grossier et le moins que l'on puisse dire c'est que les ficelles qui soutiennent ce récit, sont tous sauf invisibles. Malgré un bon début, tout s’étiole très vite et pas seulement parce que le moindre amateur de polards n’aura rapidement aucun doute sur la chute et sur l’identité du meurtrier mais aussi et surtout parce Robert Pobi ne s’attarde pas beaucoup à nous rendre le récit un minimum crédible. Pire, il tombe dans une facilité quasiment criminelle en laissant des pans importants de l’histoire tout bonnement inexpliqués… Allant même jusqu’à faire l’économie de nous donner la moindre explication sur les motivations du tueur fou. On en reste à des crimes plus ou moins gratuits… Tout aussi gratuit, d’ailleurs, que la façon dont l’auteur s’attache à nous décrire lesdits crimes à grand renfort d’hémoglobine de synthèse. Un petit reproche que je pouvais parfois faire aux premières œuvres de Chattam qui avaient par contre de nombreuses autres qualités, mais qui atteint chez Pobi un paroxysme remarquable.


Au final, sans être totalement inintéressant, « L’Invisible » est très loin de mérité les éloges que j’ai pu entendre ou lire ici ou là. Il est un peu comme un de ces fast-foods où l’on peut s’arrêter le temps d’avaler un burger sur le pouce, sans déplaisir peut-être mais sans extase assurément, un objet de consommation courante, à lire pour se reposer entre deux vrais bons polars.

Robert Pobi - L'Invisible - Sonatine 2015