Pages

mardi 8 décembre 2015

Petites pépites...

Longtemps, j'ai aimé Thierry Jonquet sans le savoir, "Boulevard du Palais" faisant partie de mes séries fétiches notamment et surtout à travers les personnages. De Rovère à Litz en passant par l'inénarrable Pluvinage et l'excellent Dimeglio... Jonquet, l'écrivain, j'en avais entendu parler ici ou là au hasard de conversations littéraires avec quelques bons amis mais aucun n'avait cru bon de me signaler que ses personnages, les héros de ses propres livres, avaient inspirés ceux de la série. Et ce n'est qu'au hasard d'une de mes nombreuses errances dans ma librairie favorite que je découvris ce recueil de 4 des romans de l'auteur.
La quatrième de couverture ne mentionnant étonnamment pas le rapport entre les livres et la série, il m'a fallu quelques pages du premier roman: "Les Orpailleurs" pour commencer à me douter de la chose... Tiens, le flic s'appelle Rovère, tiens son adjoint c'est Dimeglio... Oh ! Le Légiste s'appelle Pluvinage ! Le doute n'était plus permis.

Cette longue introduction étant faite, il ne me reste plus qu'à vous dire que si j'adore toujours la série en question, que la RTS a le bon gout de diffuser, je suis totalement tombé sous le charme des romans. "Moloch" a succédé aux "Orpailleurs" avec la même jubilation à la lecture de ce style tout en nuance, en petites touches, en subtilité. Jonquet est un impressionniste du roman noir ! Chacun de ses romans est un pavé conséquent où chaque mot a sa place, son poids, son sens... Dans l'histoire elle même, comme dans l'actualité et la réalité du monde que Jonquet nous dépeint sans concession et avec une rare justesse. Qu'il nous parle de la Shoah, des profiteurs de guerre, des enfants maltraités, de la prostitution, il parle juste, il parle fort... et nous donne aussi un peu à réfléchir bien au delà de l'intrigue toujours solide de son œuvre.

Les personnages sont tels que je les attendais après avoir côtoyé leurs doubles télévisuels: profonds, épais, pleins de doutes et de défauts, tellement humains et généreux, tellement vrais qu'on ne peut que les aimer et vivre avec eux leurs aventures de papier.

Deux romans avalés à la suite l'un de l'autre, et une courte hésitation à l'heure de choisir entre plonger dans le troisième ou m'accorder une petite pause pour passer à autre chose. J'ai fait finalement le second choix, avant tout parce qu'il me plaisait de me dire que j'avais encore deux de ces petits bijoux en réserve, faire durer le plaisir, attendre... un peu comme, enfant, on attend le matin du 25 décembre...

Thierry Jonquet - « Les Orpailleurs » - Gallimard 1998

vendredi 13 novembre 2015

Putain de Guerre...

Je ne sais pas vous, mais il me semble que notre tant aimée littérature noire peut parfois elle aussi se laisser aller à succomber aux mêmes chimères et aux mêmes artifices qui ont, depuis plus longtemps déjà, gangréné le cinéma et la télévision. La tendance au toujours plus : plus d’effets spéciaux, plus de scènes époustouflantes, plus d’action, plus de ceci et de cela et le tout en 3D, Imax avec sièges virbro-machins pour bien vous immerger dans l’action… Vous faire vivre le truc… Ou comment donner du relief à des scenarii épais comme les fameux sandwiches sncf de la chanson… En l’occurrence, dans le roman noir, cela se traduit par une surenchère dans l’horreur, les crimes se doivent d’être de plus en plus atroces, détaillés, oserais-je écrire : disséqués, jusqu’à la nausée, parfois même au mépris de toutes vraisemblance. Et les meurtriers se doivent d’être de plus en plus pervers, et en série bien sûr, parce que, méchant romanesque, si tu n’as pas tué plus de 10 personnes à la fin du 4ème chapitre… tu as raté ta vie de papier… Et l’histoire dans tout ça ? Aux abonnés absents, bien souvent.

Mais pas de ça ici. Bien au contraire. En lui même, le crime qui sert de point de départ à l’histoire de Patrick Pécherot est techniquement presque banal : arme blanche, un seul coup mais bien placé, dans le dos. Le contexte l’est beaucoup moins. Parce que pour le coup, l’horreur est ailleurs. L’horreur est partout. A faire passer le crime en lui même, les crimes même puisqu’il est aussi question d’un autre meurtre entrainant le principal, pour de petites anecdotes sans importances. La pire boucherie de l’histoire de l’humanité, la pire saloperie jamais commise par l’homme qui n’en est pourtant pas avare. Le massacre pur, simple, imbécile et criminel de la jeunesse européenne : la première guerre mondiale.
« Tranchecaille » est un polar à n’en point douter : il y a des crimes, des suspects, un meurtrier et une enquête finalement résolue… ou pas d’ailleurs si on oublie notre condition de lecteur omniscient. « Tranchecaille » est un roman noir aussi dans la composition magistrale des personnages avec leurs failles et leurs faiblesses que les horreurs de la guerre exacerbent. Mais « Tranchecaille » est aussi un excellent pamphlet anti-militariste.

En ces temps où l’on ne devrait commémorer que le souvenir du calvaire de ces millions d’hommes partis pourrir dans les tranchés par la volonté de quelques uns et l’incompétence criminelle de Généraux engoncés dans leurs certitudes, nombreux sont encore ceux qui osent nous parler de victoire, de patrie, de bons et de méchants. Ce livre est donc sans doute salutaire, à l’instar du « Putain de Guerre » de Tardy et Verney. En quelques 300 pages, et tout en déroulant avec habilité son intrigue policière, Patrick Pécherot nous livre aussi une vision complète et sans concession de ce qu’ont pu vivre tous ces soldats pendant ces 4 ans de folie meurtrière. Les conditions de vie inhumaine, la peur quotidienne, la mort omniprésente, l’entêtement des officiers, la propagande, la totale déconnexion entre les deux mondes, le militaire et le civil (extraordinairement résumé dans le personnage de Paul…) Et alors que l’on peut parfois clore un des Thrillers dont je parlais plus haut en se disant : « Il exagère », en parlant de l’auteur, là, je suis persuadé que Patrick Pécherot n’exagère en rien, au contraire, malgré tout son talent, il est sans doute encore en dessous de la réalité de ce qu’ils ont pu endurer. Mais qui pourrait comprendre vraiment, qui pourrait nous raconter vraiment, et surtout, est-il possible de comprendre ce que fût cette guerre quand même les contemporains qui ne la vivaient pas directement ne pouvaient pas, ne voulaient pas, l’appréhender dans toute sa vérité crue…

Ce livre est donc aussi l’histoire d’une double voir d’une triple injustice. Celle de voir un homme mourir pour un crime qu’il n’a pas commis d’abord. Celle de le voir condamné non pas pour ce crime d’ailleurs mais pour servir une cause qui n’en est déjà plus une en 1917. Jonas, le protagoniste n’étant au final que le représentant de ces milliers de malheureux qui furent fusillés pour l’exemple, atroce barbarie, crime de guerre à jamais impunis et dont les auteurs voient encore leurs noms sur des plaques de Rues, d’Avenues, de Boulevards. Là est la troisième injustice quand ceux qui le condamnent sont cent fois plus coupables que lui de crimes bien plus atroces.

La construction du roman, une suite de courts chapitres, peut paraitre décousue mais est en fait remarquablement agencée, nous menant habilement de détails en détails à l’image d’ensemble. Le style est habile, précis, ciselé, changeant de mode en fonction du chapitre, du personnage qu’il met en scène ou de l’action qui s’y déroule. Il nous plonge encore plus dans l’histoire.

Un grand livre. A lire pour ajouter au plaisir de l’intrigue policière, l’intelligence d’une réflexion sans concession sur cette page noire de notre histoire.


Patrick Pécherot - « Tranchecaille » - Gallimard 2008

samedi 7 novembre 2015

Made In L.A.

Attention, chef d’œuvre ! Non, je ne parle pas de ce petit papier que tu ligotes peinard entre un article de fond sur le changement de rimmel de Kate of England et la  sexetape d’une pseudo star de la téléréalité que tu as gratté sur internet dans le dos de ta femme ou de ton mari… Le chef d’œuvre en question est bel et bien le bouquin dont je suis sensé faire la critique ici. Et pour tout te dire, mon pote lecteur, je ne sais pas par quel bout prendre la chose…

Je ne vais pas te faire l’affront de te présenter l’auteur, James Ellroy. Si tu n’es pas arrivé sur ce blog par le hasard malencontreux d’un algorithme espiègle c’est que tu t’intéresses de près ou de loin à la littérature en général et au polar en particulier et donc, l’œuvre du gars Ellroy n’a pas de secret pour ta pomme. Mais l’opus dont je voulais te parler : « Le Dahlia Noir » est sans doute le plus autobiographique que l’auteur ait écrit, avec celui sur sa fameuse Part d’Ombre, et une certaine connaissance de sa vie peu commune offre un niveau de lecture supplémentaire intéressant.
Ellroy, enfant du LA des années 50 (il est né en 48), enfant solitaire et troublé, à l’oedipe mal digéré, faut dire que voir sa mère se faire assassiner lorsque l’on a 10 ans n’est sans doute pas le meilleur tremplin vers une vie pure et parfaite. Ellroy donc qu’on retrouve en filigrane derrière la plupart des personnages masculins, Bleichert bien sûr, mais aussi Blanchard  et peut-être même Sprague. Sa mère aussi, Geneva Hilliker Ellroy, dont le parallèle avec Lizz Short est trop évident pour ne pas être mentionné mais qu’on retrouve également dans Kay Lake et Madeleine Sprague comme autant de création permettant à Ellroy de solder en partie ses démons oedipiens. Mais réduire ce roman à une autobiographie déguisée serait d’une grande injustice.

Parce que cet opuscule à la noirceur choisie n’est rien d’autre, selon moi, que la quintessence de ce qui fait un bon roman noir. Des personnages magnifiques, solides, épais comme la noirceur d’une nuit sans lune dans les bas-fonds de LA. Des personnages qui vous sautent au visage dès la première rencontre au détour d’une page, au tournant d’un chapitre. Hommes : volontaires et perdus, courageux et lâches, solitaires et fraternels, forts et fragiles, immatures… Femmes : fatales et séduites, perverses et perverties, manipulatrices et dominées, menteuses et trompées. Tous : complexes et ambigus. Des protagonistes fictifs qui en croisent d’autres bien réels ceux-là mais qui ont étrangement presque moins de présence. A part Lizz Short bien évidemment. Lizz, Le Dahlia Noir, dont la mort atroce nous devient encore plus insupportable à mesure qu’on fait sa connaissance au fil des pages. Heureusement qu’Ellroy prend pitié de nous et nous livre un coupable qu’on arrive même à ne plus détester au final… En rester sur un meurtre irrésolu aurait été à la limite du supportable.

Tous ces protagonistes, et là le terme n’est pas forcément galvaudé tant on pourrait considérer que le livre compte plusieurs personnages principaux, évoluent dans un décor palpable, présent, presque tri-dimensionnel. Qu’on soit allé à LA, ou pas, dans les années 40 ou pas, on y est ! Ellroy parvient comme peu d’autre à nous prendre par la main et nous emmener promener dans son LA de rêve et de cauchemar. Des collines d’Hollywood, avec son fameux panneau dont on assiste à l’amputation des dernières lettres, à Van Nuys et Mulholland Drive, on circule dans la Citée des Anges (déchus) à la traine de nos héros.

L’histoire est admirablement construite malgré la gageure que pose toujours la reprise d’une histoire vraie. Car là encore, Ellroy s’en sort à merveille, tissant sa toile sur la trame de la véritable affaire du Dahlia Noir, il parvient à entretenir un suspens poignant et nous livre même quelques retournements de situations surprenants et jubilatoires. Et puis il y le style Ellroy, puissant, précis, percutant. Le rythme admirablement maitrisé, dans les tempi lents comme dans les explosions de violences, dans les descriptions scrupuleuses comme dans les scènes d’actions au cordeau… Un rythme qui n’est pas sans rappeler un combat de boxe dont les rounds seraient ici les chapitres du roman…


En conclusion, « Le Dahlia Noir » est une œuvre majeure de la littérature noire, de la littérature tout court aussi d’ailleurs, un must pour tous les amateurs du genres et les autres. Un classique.

James Ellroy - « Le Dahlia Noir » - Rivages 1988

mercredi 21 octobre 2015

Ceux qui m'aiment prendront ce train...

On peut mourir sans avoir vu Naples. On peut tout aussi bien calencher sans être allé à Venise… On peut même mourir en y allant… Surtout ceux qui décident, pour une raison qui m’échappe d’ailleurs, d’y aller en train… En train couchette surtout. Il y a encore tout un tas de trucs et de machins qu’on peut ne pas avoir vus ou faits avant de s’en aller pour le grand rien… Y compris ne pas avoir lu un bouquin de Tonino Benacquista sauf que dans ce cas là, on a encore plus raté sa vie qu’un quinquagénaire sans Rolex…

« La Maldonne des Sleepings » est le deuxième roman de Benacquista et le premier que j’ai eu le bonheur de lire… Lecture à fond de train tellement l’histoire est prenante, on fonce sans arrêt intempestif d’un chapitre à l’autre jusqu’à la fin, train direct pour le plaisir… Voyage en toute première classe.

L’histoire d’abord, quasi-huis-clos original dans l’univers un peu étrange des trains couchettes… C’est  beau un train la nuit sous la plume d’un auteur de talent. Une plume qui nous raconte ce monde particulier avec une intensité telle que l’on croirait presque entendre le ta-tac-ta-toum des roues d’acier sur les jointures des rails. Une plume qui s’évade aussi pour nous parler de Venise, de Florence, de Paris aussi un peu et qui nous promène ainsi des petits tracas du microcosme ferroviaire aux beaucoup plus graves problèmes du vaste monde sur fond de Complot, de Sida et des combines des grands labo pharmaceutiques… Géniale mise en abime dans laquelle le héro erre, subissant d’abord les événements avant d’essayer de reprendre le contrôle.

Le héro, justement et tous les personnages qui gravitent autours… Des personnages comme je les aime, profonds, épais, plein de doutes et de vicissitudes, multiples et complexes comme… comme les hommes. Vrais quoi… A commencer par ce brave Antoine, qu’on pourrait presque considérer comme un crétin égocentrique fini si Tonino Benacquista ne parvenait pas à nous le faire aimer. Et c’est là le génie de l’auteur, faire de cet homme ordinaire et apparemment sans intérêt un héro auquel on s’attache, que l’on suit dans ses pérégrinations et que l’on se surprend même à vouloir aider… Et tous les autres protagonistes sont à l’avenant, les couchettistes, les contrôleurs, les douaniers, les barbouzes et ceux qu’ils traquent, l’homme d’affaire véreux qui les emploie… Tous sont dépeints avec maestria et servent l’histoire et le propos de l’auteur dans une construction narrative puissante.

Parce qu’il y a l’écriture aussi, l’écriture surtout. Le style extra-ordinaire, au sens premier du terme, de Tonino Benacquista. Une syntaxe preste, une langue enlevée et des phrases ciselées, sans fioritures, du grand art… Et puis l’humour, le cynisme diront certains, cet air de ne pas y toucher mais qui dit beaucoup, qui dit tellement et qui nous prend et nous lie à l’histoire… Un humour qui soutient le récit, rails sur lequel celui-ci glisse avec aisance et nous emporte dans ce voyage au bout de la nuit…

« La Maldonne des Sleepings » fut donc le premier wagon de l’œuvre Benacquistienne qu’il me fut donné de prendre. Il y en a eu d’autres depuis (j’y reviendrai dans d’autres chroniques) tous aussi plaisants. Reste que celui-ci a ce parfum capiteux et délicieux des premières fois… Celles que l’on n’oubliera jamais… Celles qui font qu’on peut mourir… le plus tard possible peut-être mais certain de ne pas être passé à côté de l’essentiel surement.


Tonino Benacquista  - « La Maldonne des Sleepings » - Gallimard 1989