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vendredi 12 juin 2009

Dans la peau de Thomas Bishop.

A la lecture de la 4ème de couverture de « Au delà du mal » de Shane Stevens, voir à la simple vue du titre on comprend que l’on se trouve en présence d’une Nième histoire de tueur en série…et puis une date retient l’attention du lecteur attentif : 1979, date de la première parution du roman… Ce qui fait de lui, en quelque sorte, un précurseur du genre, avant « Le Silence des Agneaux » évidemment, avant même « Red Dragon », avant la vogue pour ce type d’ouvrages…Une bonne raison de jeter un œil curieux sur l’œuvre en question.

L’auteur nous conte donc les pérégrinations sanglantes de Thomas Bishop, tueur psychopathe échappé de l’asile où il était enfermé pour avoir assassiné sa mère à l’âge de 10 ans. Une des premières forces du livre est d’ailleurs bien dans la richesse du personnage du protagoniste central de l’œuvre, dont toute la première partie s’attache à nous décrire l’enfance traumatisante et les méandres de son cerveau corrompu. L’auteur nous met littéralement dans la tête de son (anti)héro, dans ses fantasmes les plus morbides comme dans ses plans les plus machiavéliques… Le lecteur est donc pris entre le sentiment normal de répulsion face à un tel monstre, une certaine compassion pour l’enfant martyr qu’il fut, voir une « admiration » pour sa capacité à concevoir les moyens de poursuivre son œuvre destructrice tout en échappant à ses poursuivants. A n’en point douter, Thomas Bishop, est un des personnages de criminels les plus fouillés qu’il m’ait été donné de rencontrer dans la littérature du genre.

Les personnages secondaires ne sont pas en reste, entre un journaliste ambigu, prêt à tout pour parvenir à ses fins, un homme politique ambitieux et cynique, des médecins sur de leur fait scientifique, des policiers dépassés par l’ingéniosité du tueur mais persévérants et consciencieux… Shane Stevens nous offre une galerie de portraits riches et servant bien l’intrigue… Et puis il y a les Femmes…et le traitement un peu particulier que l’auteur leur réserve.

En premier lieu, LA femme, la mère de Bishop, victime d’un viol raconté dans les premières pages et qu’on nous montre ensuite comme menteuse, manipulatrice et finalement bourreau de l’enfant peut-être issu de ce viol.  La description des pensées et agissements de cette femme interdisent presque toute forme de compassion…et ce dès le viol où il nous est presque suggéré qu’elle aurait pu y prendre un certain plaisir… La suite étant encore pire lorsqu’elle assouvira sa soi-disant vengeance en martyrisant son fils jusqu’à ce que ce dernier la tue… Faisant d’elle, la source même du Mal… D’ailleurs, à chacun des crimes commis par Bishop, l’ombre de sa mère restera présente comme si elle était l’instigatrice des horreurs perpétrées par son fils…
Au-delà du personnage de la mère, il y a celui des autres femmes, les victimes du tueur, où celles qui croisent la route des différents personnages masculins…Car tel est bien l’autre point particulier du roman, mise à part la mère de Thomas Bishop, les autres protagonistes féminins ne semblent là que pour assouvir les plaisirs des hommes, jusqu’à ceux pervers et mortels du tueur. Même les victimes paraissent avoir leur part de responsabilité dans leur propre mort puisque toutes suivent leur bourreau de leur plein gré. Certaines nous sont même présentées comme des chasseresses en quête d’un homme pour combler leur solitude ou leurs désirs. Prédatrices devenues proies, leur propre attitude semble coller aux images déformées de la femme qui hantent l’esprit torturé de Bishop qui les perçoit comme des démons œuvrant à la perte de l’Homme. Ce traitement des personnages féminin par l’auteur m’a vraiment interpellé et je ne saurais dire s’il procède d’une habile construction stylistique visant à conduire le lecteur au plus profond des pensées du tueur, en présentant les femmes telles qu’il semble se les représenter ; ou si les représentations féminines en question sont le reflet des véritables opinions de Stevens sur la gens femina… A vrai dire cette interrogation fut presque source d’un plus grand malaise pour moi que la simple description clinique de certains des sévices infligés par le tueur à ses victimes.

Ceci mis à part, l’intrigue reste bien construite, et fortement intégrée dans le contexte de l’époque… Avec en toile de fond le débat sur la peine de mort et le Watergate (publié en 1979 le roman se déroule en 1973) les deux ayant une importance capitale dans le déroulement de l’histoire. L’écriture, simple, presque journalistique peut donner à penser que nous sommes en train de lire un article de fond sur les crimes et la traque d’un meurtrier bien réel. L’ensemble renforçant le coté choc du roman.


Pour conclure, « Au-delà du mal » est une œuvre prenante, bien construite et bien écrite. Une œuvre fondatrice d’un genre usé jusqu’à la corde depuis. L’œuvre d’un auteur mystérieux qui disparu soudainement de la scène littéraire après avoir publié cinq romans et dont on ne peut savoir quelle part de ses propres ombres et démons il investit dans le roman. C’est sans doute aussi ce qui fait la force de l’œuvre…

Shane Stevens - Au delà du mal - Sonatine 2009