« Le principe de Précaution »
de Matthieu Jung est définitivement
un ouvrage à consommer sans modération. Il n’en est pas moins dangereux, parce
que la lecture de ce livre est susceptible de provoquer une addiction irrésistible.
Le roman, écrit à la première personne, nous compte, sur une période
d’environ un an, le quotidien de Pascal,
un Mr Toutlemonde de la classe moyenne supérieure. Le récit est éminemment
inscrit dans son époque et dans l’actualité, ce qui ancre l’histoire dans la réalité
historique de la fin 2004, début 2005, avec les références aux Raz-de-marée en
Thaïlande ou aux manifestations estudiantines de Mars 05. Cet ancrage dans l’actualité
est aussi présent à un niveau plus micro-sociétale, à travers le compte rendu
de certains fait-divers beaucoup plus confidentiels. Petits faits souvent
insignifiants en apparence mais qui véhiculent tous une notion sous-jacente de
dangers aussi mortels qu’imprévisibles… Car là est bien le principe du livre
que d’évoquer la présence quotidienne, endémique, mais surtout inévitable de
menaces létales diverses et variées qui tourneront bientôt à une certaine
obsession pour le héro.
Le talent de l’auteur réside en grande partie dans sa faculté à nous
faire nous identifier à son héro. Ainsi, lorsque celui-ci se trouve confronté à
une forme de harcèlement de la part d’un de ses collègues, l’auteur parvient
sans mal à nous faire éprouver quelques détestations pour le butor en question.
De même, à travers les yeux du héro, le livre aborde certaines questions
sociétale (banlieues, échec de l’intégration, éducation…) mais en privilégiant
l’approche individualiste plutôt que la vue d’ensemble. Ces mêmes
problématiques prenant du même coup un aspect plus réel, plus inquiétant. Nous
suivons la vie quotidienne de cet homme mais c’est surtout sa perception de
plus en plus déformée de la réalité qui nous est montrée, un quotidien vu comme
de plus en plus agressif, oppressant. Un quotidien qui devient enfer, et comme
nous le disais Sartre, d’ailleurs
cité dans le livre sur ce topique même : « L’enfer
c’est les autres »…
Car nul doute que l’enfer dans lequel Pascal, à l’instar du héro de Dante, s’enfonce inexorablement est
bien celui constitué par des interactions interpersonnelles vécues de plus en
plus comme de véritables agressions. Comme celui de Dante, l’enfer de Pascal
comporte plusieurs cercles concentriques, le monde en général, la France, la
Région Parisienne, son lieu de travail, sa famille…et plus on progresse à
l’intérieur des cercles plus la menace semble importante. Au fur et a mesure
que l’intrigue se noue, le quotidien perd de sa tangibilité, les faits perdent
de leur substance, nous parvenant à travers le prisme déformant d’une
perception de plus en plus émotionnelle du héro…vers le dénouement tragique
attendu.
Par certains aspects, le livre n’est pas sans rappeler l’excellent « American Psycho » de Bret Easton Ellis. Mais si la folie de Patrick Bateman procède d’un complexe de
supériorité exacerbé qui en fait un prédateur, celle de Pascal est, à l’inverse, issue d’une propension tout aussi
imprescriptible à se placer en victime désignée. Victime qui réagira aux
agressions réelles ou supposées par un reflexe d’autoconservation dévastateur.
« Le Principe de Précaution »
propose donc une folie plus ordinaire que celle de Bateman, tout comme la vie de Pascal
est plus ordinaire…Une folie qui en est presque plus dangereuse et inquiétante
car potentiellement plus présente dans notre quotidien même. Une œuvre que
d’aucuns trouveront sans doute un peu dérangeante dans certains thèmes
développés et surtout dans son final brutal, mais une œuvre admirablement
maitrisée par l’auteur, et un vrai plaisir de lecture.
Matthieu Jung - Principe de Précaution - Stock 2009