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samedi 7 novembre 2015

Made In L.A.

Attention, chef d’œuvre ! Non, je ne parle pas de ce petit papier que tu ligotes peinard entre un article de fond sur le changement de rimmel de Kate of England et la  sexetape d’une pseudo star de la téléréalité que tu as gratté sur internet dans le dos de ta femme ou de ton mari… Le chef d’œuvre en question est bel et bien le bouquin dont je suis sensé faire la critique ici. Et pour tout te dire, mon pote lecteur, je ne sais pas par quel bout prendre la chose…

Je ne vais pas te faire l’affront de te présenter l’auteur, James Ellroy. Si tu n’es pas arrivé sur ce blog par le hasard malencontreux d’un algorithme espiègle c’est que tu t’intéresses de près ou de loin à la littérature en général et au polar en particulier et donc, l’œuvre du gars Ellroy n’a pas de secret pour ta pomme. Mais l’opus dont je voulais te parler : « Le Dahlia Noir » est sans doute le plus autobiographique que l’auteur ait écrit, avec celui sur sa fameuse Part d’Ombre, et une certaine connaissance de sa vie peu commune offre un niveau de lecture supplémentaire intéressant.
Ellroy, enfant du LA des années 50 (il est né en 48), enfant solitaire et troublé, à l’oedipe mal digéré, faut dire que voir sa mère se faire assassiner lorsque l’on a 10 ans n’est sans doute pas le meilleur tremplin vers une vie pure et parfaite. Ellroy donc qu’on retrouve en filigrane derrière la plupart des personnages masculins, Bleichert bien sûr, mais aussi Blanchard  et peut-être même Sprague. Sa mère aussi, Geneva Hilliker Ellroy, dont le parallèle avec Lizz Short est trop évident pour ne pas être mentionné mais qu’on retrouve également dans Kay Lake et Madeleine Sprague comme autant de création permettant à Ellroy de solder en partie ses démons oedipiens. Mais réduire ce roman à une autobiographie déguisée serait d’une grande injustice.

Parce que cet opuscule à la noirceur choisie n’est rien d’autre, selon moi, que la quintessence de ce qui fait un bon roman noir. Des personnages magnifiques, solides, épais comme la noirceur d’une nuit sans lune dans les bas-fonds de LA. Des personnages qui vous sautent au visage dès la première rencontre au détour d’une page, au tournant d’un chapitre. Hommes : volontaires et perdus, courageux et lâches, solitaires et fraternels, forts et fragiles, immatures… Femmes : fatales et séduites, perverses et perverties, manipulatrices et dominées, menteuses et trompées. Tous : complexes et ambigus. Des protagonistes fictifs qui en croisent d’autres bien réels ceux-là mais qui ont étrangement presque moins de présence. A part Lizz Short bien évidemment. Lizz, Le Dahlia Noir, dont la mort atroce nous devient encore plus insupportable à mesure qu’on fait sa connaissance au fil des pages. Heureusement qu’Ellroy prend pitié de nous et nous livre un coupable qu’on arrive même à ne plus détester au final… En rester sur un meurtre irrésolu aurait été à la limite du supportable.

Tous ces protagonistes, et là le terme n’est pas forcément galvaudé tant on pourrait considérer que le livre compte plusieurs personnages principaux, évoluent dans un décor palpable, présent, presque tri-dimensionnel. Qu’on soit allé à LA, ou pas, dans les années 40 ou pas, on y est ! Ellroy parvient comme peu d’autre à nous prendre par la main et nous emmener promener dans son LA de rêve et de cauchemar. Des collines d’Hollywood, avec son fameux panneau dont on assiste à l’amputation des dernières lettres, à Van Nuys et Mulholland Drive, on circule dans la Citée des Anges (déchus) à la traine de nos héros.

L’histoire est admirablement construite malgré la gageure que pose toujours la reprise d’une histoire vraie. Car là encore, Ellroy s’en sort à merveille, tissant sa toile sur la trame de la véritable affaire du Dahlia Noir, il parvient à entretenir un suspens poignant et nous livre même quelques retournements de situations surprenants et jubilatoires. Et puis il y le style Ellroy, puissant, précis, percutant. Le rythme admirablement maitrisé, dans les tempi lents comme dans les explosions de violences, dans les descriptions scrupuleuses comme dans les scènes d’actions au cordeau… Un rythme qui n’est pas sans rappeler un combat de boxe dont les rounds seraient ici les chapitres du roman…


En conclusion, « Le Dahlia Noir » est une œuvre majeure de la littérature noire, de la littérature tout court aussi d’ailleurs, un must pour tous les amateurs du genres et les autres. Un classique.

James Ellroy - « Le Dahlia Noir » - Rivages 1988

2 commentaires:

  1. Salut Ytsejam !

    Afin de compléter modestement ce billet pour le moins dithyrambique, juste un petit conseil (les fêtes de Noël approchant) destiné aux fans de polar en bande dessinée pour leur suggérer ce même opus de James Ellroy dans la collection Noir chez Casterman.
    Les dessins au fusain particulièrement réussis sont de Miles Hyman (illustrateur américain du Poulpe entre autres) et du français Matz (Le Tueur) pour le découpage. Chaque planche est un petit bijou de réalisme qui retranscrit bien l'ambiance obscure du roman.
    J'étais sceptique quant à retrouver l'intégralité du roman dans la bande dessinée mais le scénario retravaillé par David Fincher himself (Seven, Fight Club,...) est prodigieux de concision.
    En bref de la belle ouvrage...

    Amicalement

    PS : Les mêmes protagonistes de la BD ont sévi également dans la même collection pour "Nuit de fureur" de Jim Thompson, classique de la littérature noire. Si le Père Noël me lit...

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    Réponses
    1. Hello Tricao,

      Le pirate est toujours de bons conseils, a qui je dois d'avoir découvert avec plaisir Benacquista entre autres...

      Amicalement itou.

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